Entretien avec David Rosenberg (Paris, France)
C’est dans le cadre des expositions simultanées Métamorphose à la galerie La Cave d’Arts (Louviers, France) et Le Cabinet de curiosités de David Boulanger au théâtre Méga-Pobec (Evreux, France), regroupant respectivement chacune plus de 100 oeuvres de l’artiste, que David Rosenberg et David Boulanger se sont librement entretenus.
Reflets et métamorphoses : à propos d’autoportraits
David Boulanger, entretien avec David Rosenberg
Pourquoi précisément avoir choisi d’exposer cette série d’autoportraits ?
Peut-être, tout simplement, parce qu’on n’échappe pas à l’autoportrait. Pas moi en tout cas. Léonard de Vinci soulignait dans son Traité de la peinture que « tout peintre se peint soi-même ». Curieusement, lorsque je peins un cheval, une scène, une nature morte, cela devient irrémédiablement un autoportrait. Mais ce n’est pas un « genre » dans lequel je m’enferme. L’autoportrait, c’est une manière « d’être ma peinture », « d’être la Peinture », mais aussi, paradoxalement, de m’en détacher. C’est encore, selon moi, un moyen de réinventer constamment mon travail. Mais avant tout, le choix d’exposer une longue série d’autoportraits me permet de susciter et d’engendrer de nombreuses contradictions et ambiguïtés. A ce sujet, aucun signe –dans la peinture elle-même – n’indique s’il s’agit d’un portrait ou d’un autoportrait…
Ce seraient alors des sortes de miroirs dont on ne sait qui ils reflètent ?
Des miroirs, je l’ignore ; mais des reflets, à coup sûr. Disons qu’un doute subsiste, et que l’appellation « autoportrait » pose plus de questions qu’elle n’apporte de certitudes…
Mais tu as choisi le terme de « métamorphose » que tu préfères, je crois, à celui d’« autoportrait » ? C’est aussi une allusion au texte d’Ovide et à Narcisse…
Cela me semblait intéressant de souligner à quel point je m’autorisais, finalement, toutes les transformations possibles et imaginables de la figure. Et puis, j’associe la rêverie à la « métamorphose ». L’emploi de ce terme est aussi une belle manière de provoquer le trouble et la réflexion. En fait, les mots « métamorphose » et « autoportrait » me semblent être synonymes plus qu’équivalents. Autant dire que l’autoportrait est une métamorphose absolue. Ce serait la finalité – ou bien même la fatalité – de la peinture… Et que serait la peinture sans désir ou, pire encore, sans « métamorphose » ? Pour répondre à la deuxième partie de ta question, il suffit de lire Les Métamorphoses d’Ovide pour comprendre que Narcisse est l’un des mythes fondateurs de l’autoportrait, mais aussi que tous deux – le mythe et le genre – sont absolument irréductibles au narcissisme…
Il s’agit de métamorphose au pluriel. Tu ne conçois l’autoportrait que dans la multiplicité, dans la série ?
Oui, tout comme le reste de mes peintures. Je travaille par série. La métamorphose n’est pas un résultat définitif, c’est un processus. Et mon seul fil conducteur, dans ce travail, est le désir constant de peindre. Mon souci constant, c’est de montrer combien je demeure fidèle à ce désir et combien j’aspire à en faire l’éloge.
Des greffes (une oreille au milieu du front, en lieu et place du troisième œil), des objets posés sur le sommet du crâne ou bien plantés dans la tête. C’est souvent déroutant, parfois saugrenu… Pas question d’outils et d’ustensiles employés avec maîtrise ; pas question non plus d’attributs ou de symboles venant renforcer la solennité du personnage. On a le sentiment d’un être impassible, indifférent aux objets ; quand bien même ceux-ci lui transpercent le crâne !
Tous ces attributs ne sont que des détails. Au delà du fait de considérer l’art du détail comme une science de la peinture – ce qui pourrait d’ailleurs s’opposer à la notion de métamorphose – , c’est un prétexte, un moyen permettant d’engendrer la diversité et la sérialité. Quant à la portée symbolique, en cherchant un peu, on pourra la trouver… Tantôt la signification ou l’allusion est triviale et sans importance, tantôt elle me permet de signifier quelque chose de plus personnel. La greffe d’oreille sur le front, par exemple, fait uniquement référence à une souris de laboratoire, à qui on avait greffé une oreille sur le dos ! Par contre, lorsqu’une canne me transperce la tête, c’est comme la peinture qui me transperce et me dépasse. Ou bien encore ce personnage bleu qui devient semblable à une eau profonde ; à cette eau profonde qu’est selon moi la peinture.
Une profondeur qui semble te fasciner et t’intriguer plus que celle habituellement attribuée à l’identité ou à la psychologie du personnage…
Le personnage peint est dépeint. Il n’est pas moi, ou plus moi. C’est un personnage que j’ai inventé. Et il m’aide à m’y retrouver. Atteindre la psychologie d’un sujet, en peinture, est une manière d’atteindre l’excellence dans le domaine spécifique qu’est le portrait. C’est parfois l’objet de ma recherche, parfois non. Ce que je vise à tous les coups, par contre, c’est à ce que la peinture existe par elle-même, à part entière. De même, je ne cherche pas à établir, créer ou dévoiler une identité précise. C’est juste le plaisir de regarder, d’être surpris – pourquoi pas ? –, et de prendre du plaisir à un face-à-face. A travers les différents attributs, je démontre le caractère. C’est comme un bon vin en cave. On descend le chercher, on le débouche et on le déguste : on aime ou on aime pas. Point final.
Il y a aussi, me semble-t-il, beaucoup d’humour ou de cocasserie…
De l’humour… Merci ! car on m’a souvent reproché que mes peintures étaient tristes ! Alors que bien souvent, j’ai cherché à provoquer la surprise et aussi l’indifférence, à travers le sourire. Peut-être « les gens » attendent aujourd’hui des peintures qui vont les distraire et, vite, les faire rire, ou bien même leur faire peur… Si c’est le seul moyen pour retenir leur attention, si c’est le seul moyen pour qu’ils se sentent occupés et qu’ils ne s’ennuient plus, alors j’écrirai des blagues et des devinettes en glacis…
… Ou bien des autoportraits en « pitre » ou en « idiot »…
Ah ! quel plaisir ! que j’aime à songer que la peinture, ceux qui la regardent comme les peintres puissent se « désintellectualiser »… Mais moi-même, réussirais-je pour autant à devenir idiot ? Je ne sais pas. Par contre avec un peu de chance, je finirais par ressembler à mes autoportraits !
Entretien avec David Rosenberg, 2006
Première parution,
Extrait du Catalogue de L’Exposition Métamorphose,
Galerie La Cave d’Arts, Louviers.
David Rosenberg […] est commissaire d’exposition et auteur français, spécialiste en art moderne et contemporain. Wikipédia
Galerie La Cave d’Arts
11 rue du quai
27400 Louviers
Théâtre Méga-Pobec :
La Chapelle
Rue de la cavée boudin
27000 Évreux